résidence

Carnet de résidence / Rue Garibaldi de Federico Francioni

Résidence Frontières 2018
Grec - Musée national de l'histoire de l'immigration

A travers le carnet de bord, suivez l'avancement de Rue Garibaldi, le projet de court-métrage de Federico Francioni dans le cadre de sa résidence au Musée de l'histoire de l'immigration, de janvier à juillet 2018.

Pour en savoir plus sur la résidence

#6 - mai 2018

Fragments de l'atelier Les inconnus (se) regardent qui a eu lieu au Musée le 21 avril 2018.

Les visiteurs du musée sont invités à échanger sur leurs origines à travers un paravent, sans se rencontrer ni se se voir avant. Une caméra fixe filme leur conversation.

 

Réalisation et montage : Federico Francioni

 

#5 - avril 2018

Images de surface, un paysage plat, des rue figées. Rue Garibaldi peut devenir en quelques instants Via Garibaldi à Vittoria, en Sicile. Là, il y a le petit call-center où Ines et Rafik ont vécu leur enfance et adolescence, quand ils travaillaient avec leurs parents.

Des correspondances mystérieuses se créent.

On entre dans la rue, dans cette carte virtuelle, dans les surfaces ensoleillées du sud. Après, on retourne à Rue Garibaldi. Vue de haut, comme dans un modele réduit, ça ressemble à une image prise d’un avion. Et si on regarde le ciel, on en voit beaucoup. Parfois, quand il fait beau, Rafik passe son temps à suivre leur trajectoire vers ailleurs.

 

#4 - fin mars 2018

J’étais absent à partir de mi-mars, la dernière fois que j’ai vu Inès elle allait faire son entretien d’embauche, et ça s’était bien passé, avec Allianz. Il y avait beaucoup de négativité dans la maison en cette période, mais ce jour-là, quand elle est rentrée, il y avait une atmosphère différente. « C’est un pays qui te donne toutes les chances » dit-elle à Rafik, « ce n’est pas la Sicile ! », continue Inès. Ils parlaient souvent de retourner en Italie, jour après jour ils perdaient espoir.

Rafik, par contre, ne va pas très bien, il continue avec son nouveau métier de plombier, mais il n’a pas d’horaires fixes : il peut travailler la nuit, le jour, le weekend. Son but c’est de gagner de l’argent, mais il n’arrive plus à dire pour en faire quoi : avant, le désir était d’acheter des oliviers en Tunisie ; maintenant gagner de l’argent ce n’est qu’un mouvement mécanique, c’est subsister. Son patron lui a proposé de s’occuper de la gestion de l’entreprise dans le futur, mais il n’y a rien de certain. Tout est dans un équilibre précaire.

Je lui ai écrit ce weekend, il m’a dit qu’il était à hôpital pour ses douleurs à l’estomac. Il avait déjà été hospitalisé en automne, et c’est aussi pour cette raison qu’il avait décidé de quitter Uber et essayé de mener une vie plus régulière.

Les deux n’arrivent pas encore à sortir de la maison. Quand j’essaye de leur demander de sortir, ils n’ont jamais envie. Je me suis aperçu que, à partir de janvier, je n’ai filmé que la maison, les murs, les fenêtres. Je cherche à filmer le visage d’Inès, mais j’y arrive seulement quand elle est assortie de son portable, avec toutes les lumières qui traversent son visage, intermittentes. On ne voit pas les yeux, derrière les lunettes. Elle ne supporte pas le silence.

On attend le printemps ensemble. Ils ont envie du sud, du soleil de la Sicile. Rafik me dit qu’il attend la période du Ramadan en mai pour retrouver une régularité dans son présent, dans son vide.

 

 

#3 - 5 mars 2018

« C’est comme un radar, il a un œil étrange aussi, qui ne juge pas, mais te montre comme dans un miroir ». Ines regarde la camera, et me demande qu’est-ce que je vois en ce moment, qu’est-ce qu’il y à voir ? Après, elle recommence à lutter contre le désordre et le chaos, partout dans la maison.

On attend le retour de Rafik. Dans les dernières semaines il a commencé tout d’un coup à travailler le jour comme plombier, après avoir travaillé toute la nuit pendant un an et demi. Il sort le matin, et rentre la nuit, avec des frites et des hamburgers du fast-food : c’est le diner. Un soir il est rentré à minuit, mais seulement pour quelques instants : son chef lui a demandé de repartir ensemble dix minutes plus tard pour Rouen, pour aller chercher un outil de travail qu’ils avaient oublié là-bas. Quand il est dans la maison, Rafik semble presque un fantôme.

Un jour, il est rentré avant minuit. Lui et Ines ont commencé à se souvenir de leur adolescence en Sicile, des petits travaux qu’ils faisaient avec leurs parents, déjà à partir de sept ans. Rafik se souvient d’un épisode. Il avait pris l’argent du café, dans le petit internet café de ses parents : c’était lui qui le préparait chaque fois pour les clients, et il pensait c’était son droit d'être payé. Après, quand la machine à café est arrivée, tout s'est fini. « Il y avait déjà le problème du travail remplacé par les machines en 2007 ! » il s'exclame, en riant avec sa sœur. Ils disent que peut-être que c’était le meilleur moment dans leur vie, plein d’énergie. Toutes les possibilités étaient là, face à eux.

Dans ce moment on vit dans la répétition, dans un temps qui fait oublier le jour et la nuit. Eux ils n’arrivent plus à enregistrer leur journal intime pour moi, comme s’ils avaient perdu les paroles, la concentration. Je décide de faire une pause, en attendant qu'Inès recommence à travailler à la fin de mars. 

 

#2 - 19 février 2018

Le monde bouge dans les écrans des portables, à travers la fenêtre, au-delà des surfaces. La mer de la Tunisie, le visage d’un cousin qui est né à Mahdia, les élections en Italie ; mais à l’intérieur, entre les murs, rien ne change vraiment. Chaque jour se répète, plus ou moins égal, même si les évènements parfois contredisent cette immobilité.

Jeudi je n’étais pas là, je devais aller en Italie pour quelques jours. L’après-midi je reçois un message d’Inès : Rafik à été licencié d’un coup. Sa période d’essai est finie, et il ne sera pas confirmé. Il avait été forcé de quitter son travail comme chauffeur d’Uber en Novembre, et maintenant il travaillait la nuit dans un fast-food. Tout se passait bien jusqu’à ce moment, Rafik m’avait dit qu’il était un des meilleurs, qu’il travaillait avec passion et ses collègues lui avaient dit que tout marchait bien pour lui. Je n’arrive jamais à comprendre s’il est sincère ou s’il se représente comme quelqu’un qui n’est pas lui-même.

Quand je suis retourné chez eux, après quelques jours, j’ai eu l’impression de ne pas trouver de traces de cette vie, comme si rien n'avait changé. Je retrouve Ines et Rafik enfermés chez eux, angoissés par le loyer, et un nouveau travail à trouver. Cette maison est devenue le territoire de leur migration, leur Pays, leur espace. La frontière est entre deux chambres.

J’ai l’impression de vivre avec eux constamment sur le fil de quelque chose qui est là pour arriver, quelque chose qu’on attend. Un coup de téléphone, une nouvelle chance. 

Rafik me regarde, et il me dit, presque souriant : « Il y’a des jours ou j’ai l’impression de ne pas exister ».

 

 

 

#1 - 1er février 2018

Villeuneuve-Saint-Georges

 

« Je me sens dans un autre lieu, jamais ici. Chaque jour je me lève, je regarde cette chambre et je ne la reconnais pas. Ce n’est pas la mienne. » - Inès

Je suis retourné ici, à la rue Garibaldi, après un an. Beaucoup de choses ont changé. L’énergie des premiers mois et le sens de la découverte se sont transformés subtilement en angoisse. La maison est en désordre, les fragments sont partout : factures à payer, vêtements, photos, objets abandonnés. Tout est figé, en stase.

Pendant la semaine Inès et Rafik ne se croisent jamais. Il se lève à 16h, il sort pour travailler et il rentre à 5h du matin. Elle sort à 8h et rentre le soir. Ils sont comme des inconnus dans le même espace. Inès regarde le monde dehors, la rue, les autres maisons, mais il n’y a que des rideaux en face à elle. Comment raconter tout ça ? 

 

 


Rue Garibaldi, un documentaire de Federico Francioni :

En France depuis un an, Inès et Rafik, frère et sœur de 19 et 20 ans, à la fois siciliens, italiens, tunisiens, s’interrogent sur le sens de leur identité. Lui est chauffeur Uber la nuit et elle travaille à domicile le jour. Leur rapport au monde passe à travers les écrans : les appels vidéo avec leurs parents restés en Sicile et avec le reste de la famille en Tunisie, mais aussi sous forme de journal intime enregistré. Ils habitent à 30 minutes de Paris, à Villeneuve-Saint-Georges, vers Orly. Dans le ciel, les avions passent. A mon arrivée, ils me montrent fièrement le nom de leur rue, rue Garibaldi. Pour en savoir plus sur le projet

 



Date de publication : 13-09-2018

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