Dans le cadre de la présélection de trois films du GREC aux César 2024 (deux court-métrages de fiction et un court-métrage documentaire), nous avons demandé aux réalisateur.rices de confectionner une vidéo de présentation de leurs films, dans l'esprit de ceux-ci !
Ils et elle nous ont également accordé une interview et nous racontent leur expérience de prépa et de tournage, leur rapport à leur film et aux thématiques qu'ils y abordent.
Voici la vidéo et l'interview d'Arthur Thomas-Pavlowsky, réalisateur de La lutte est une fin, présélectionné dans la catégorie Meilleur court-métrage documentaire.
Synopsis de La lutte est une fin d’Arthur Thomas-Pavlowsky :
Un jour d'été à Marseille. Au sein de la bourse du travail transformée en arène de boxe, les boxeurs du collectif Boxe Massilia sont sur le point d’entrer sur le ring face à une foule en liesse.
Et si à travers ce spectacle antique du combat au corps à corps, une autre lutte se jouait, plus décisive et fondamentale ?
Interview d'Arthur Thomas-Pavlowsky
Tu veux faire une présentation du film et de toi, ce que tu as fait avant ?
A la base, j’ai fait une formation d’éducateur spécialisé. J’ai d’abord été dans la protection de l’enfance avant de commencer des études en documentaires (Master documentaire Recherche et Création à Marseille) en 2019.
C’est un moment qui correspond au début du projet de « La lutte est une fin ». Quand je suis arrivée à Marseille, j’ai eu envie de commencer à prendre des cours de boxe. Je me questionnais pas mal sur le rapport à la violence. J’avais vécu des situations de violence et ça me figeait complètement. Je me posais la question de savoir comment réagir dans ces moments. Je me suis renseigné et on m’a rapidement parlé du collectif Boxe Massilia, qui à l’époque s’entraînait dans une Maison pour Tous à Marseille, à côté du cours Julien. En parallèle, pour les cours, je devais trouver un sujet de film. Très vite, quand je suis arrivé dans cette salle, où ils faisaient des cours à prix libre, j’ai trouvé qu’il y avait une atmosphère assez magique. C’est assez paradoxal parce que c’était vraiment une salle sans charme, mais à l’intérieur, il y avait une cinquantaine de personne, entre dix et soixante ans, qui apprenaient à se battre. J’ai trouvé ça hyper poétique, de voir comment par le biais de l’apprentissage de la bataille, de la violence, se créait un espace de rencontre et de partage intergénérationnel, et ce entre des gens d’univers complètement différents.
J’ai donc créé mon lien avec eux en prenant des cours de boxe. Assez vite, je leur ai proposé de faire un film là-dessus. Ils ont accepté, et ça a été trois ans de processus, de rencontres, qui ont abouti à ce film sur le collectif Boxe Massilia. A ce moment là, ils créaient un lien avec le Comité Chômeurs et Précaires de la CGT, parce qu’il y a beaucoup de militants de la CGT dans le collectif. Il se trouve que pendant la période du covid, ils n’avaient plus d’espace pour pratiquer la boxe, et la CGT a ouvert les portes de la Bourse du Travail pour les boxeurs. Ils sont arrivés dans ce lieu et ont commencé à faire leurs cours là-bas tous les vendredis. C’est un lieu emblématique de l’histoire ouvrière de Marseille, qui est une ville très syndicaliste.
C’était beau de voir ces cours de boxe avoir lieu dans cet endroit de discussion politique. C’est là que le film a vraiment émergé.
Est-ce que tu as rencontré des difficultés pour filmer ce lieu très militant ?
Je viens un peu de cet univers militant et je savais que je serai confronté à cette problématique. Donc j’ai été très vigilent, j’ai pris beaucoup de temps pour discuter avec eux, pour échanger sur le rapport au film, pour les rencontrer individuellement. C’est là que j’ai rencontré Maho, qui était président du collectif de boxe. Tous ça sans filmer. Je voulais vraiment que ce soit un échange.
A ce moment-là, ils mettaient en place un des axes centraux du film, des galas de boxe en soutien à des luttes. J’ai filmé le premier gala de boxe, qui n’est pas dans le film C’était assez petit, il y avait peu de monde. Mais ça m’a permis de m’entraîner à filmer de la boxe, et j’en ai profité pour faire des vidéos pour eux, pour leur permettre de communiquer autour de ça.
Il y a eu des personnes qui n’ont pas voulu être filmées, évidemment. Ce que j’ai fait pour avoir leur consentement, par exemple, c’est faire lire mon dossier à Jules et Maho, deux personnes du collectif qui suivaient beaucoup le film. Jules, qui était dans le film à la base, a pu voir qu’il était un personnage principal, et il a fini par me dire non, qu’il n’était pas intéressé.
Après deux ans d’écriture, le moment du tournage a eu lieu à un moment où ils ne s’entraînaient plus dans la Bourse du Travail. Alors je leur ai proposé d’y retourner le temps du tournage. J’avais besoin de quatre, cinq entraînements pour mes séquences. Donc les personnes qui venaient savaient que c’était pour un tournage.
Du côté de la Bourse du Travail et de la CGT, je n’ai eu aucun problème, ça s’est fait très facilement.
« La lutte est une fin » : est-ce que c’est comme ça que tu conçois ton film, comme une fin en soi ? Ou comme un moyen de lutte ?
Le titre, même s’il n’est pas venu tout de suite, c’est la métaphore assez évidente entre lutte politique et lutte physique. C’était un collectif qui se retrouvait dans une arène de la lutte syndicale. Et en écoutant leur parole, j’ai commencé à voir qu’il y avait un aspect très important qui se jouait, un facteur d’espoir : le fait d’être en train de boxer, de lutter dans les syndicats, c’était une manière d’être toujours en action, toujours d’espérer.
Ma pratique de la lutte, c’était souvent dans le but d’accéder à un changement majeur, à une victoire. Et on peut le transposer au sein de la boxe. Quand on boxe, on boxe pour gagner. Mais finalement, eux, par leur pratique, ils amenaient du collectif et du politique. Et le simple fait d’apprendre à boxer, à maitriser son corps, à apprendre sa violence, c’était déjà ça. Le processus de la lutte était déjà une fin.
Le film ne pouvait pas avoir de fin. A la base, les plans extérieurs se finissaient dans un combat qui s’interrompait au plein milieu. Il s’agissait de casser la dramaturgie du combat de boxe avec un gagnant et un perdant.
Le fait d’être en lutte, c’est perpétuel. Même si on accédait à une utopie, ce ne serait jamais fini. Et je trouve ça agréable, de penser comme ça. C’est une manière soulageante de vivre.
Est-ce que tu considères que ton film est militant ?
Je trouve ça risqué de désigner des films comme militants. Au vu que l’énergie que ça prend de faire un film, tous les films sont militants en soi. Il y a toujours une idée derrière, un regard subjectif, donc une dimension politique et un point de vue défendu.
Alors oui, il est militant parce qu’il traite d’un sujet dit militant, d’engagement politique. Mais il n’est pas plus militant qu’un film qui parlerait d’amour, par exemple. Je ne veux pas le dire militant parce que je sais que ça va l’enfermer. Souvent, dans le milieu du cinéma, un film qu’on dit militant, c’est un film qui traite le fond d’un sujet mais pas de la forme. Si je dis de mon film qu’il est militant, on ne voudra plus le regarder comme un objet artistique. Or, c’était tout l’enjeu du film. Je voulais parler d’un sujet politique en me laissant une grande part de création artistique, défendre un cinéma qui soit à la fois politique et beau. Montrer que le poétique est politique.
Et c’est aussi sur ça que je vois l’apport de toute mon équipe. La conception de l’image, du montage… Ils m’ont permis de me détacher de tout l’affect que je mettais dans le sujet de ce film, qui me touchait beaucoup par mon engagement politique.
De quoi est-tu le plus fier, dans ce film ?
Déjà de l’effet qu’il peut avoir. On vient souvent me voir, des gens éloignés du milieu de la boxe, qui me disent que ça a décalé leur regard sur ce sport qu’ils voyaient de manière plus péjorative. La boxe, ça peut faire peur : on pense que l’objectif suprême c’est de faire du mal à son adversaire, par exemple. Et je crois que le film peut permettre de défaire cette idée.
Et l’autre chose, c’est que ce film soit une création collective. C’est cette dimension qui a transcendé le film : à l’image par le travail d’Antonin et Agathe, sur le montage avec le travail de Clara, sur la musique par le travail de Simon et Rodrigo. Alors oui, il y avait des idées de base, mais ils et elles m’ont poussé dans mes retranchements sur plein d’aspects, et ça a permis d’accéder à des dimensions du film qui n’auraient pas existé si j’avais été seul.
Et maintenant, qu’est-ce que tu fais ?
Là, je suis au début de l’écriture d’un projet de long métrage documentaire. Ça revient sur mon parcours d’éducateur spécialisé dans la protection de l’enfance. L’idée, c’est d’aller filmer les institutions dans lesquelles j’ai été travailleur social. Je voudrais faire un film sur le lien entre les travailleurs sociaux et ce cadre institutionnel, et quel lien affectif existe dans ce travail entre les travailleurs, les institutions et le public.
Propos recueillis par Mathilde Adjinsoff
Plus de 100 films du Grec à voir en ligne en accès libre dans La rubrique films en ligne.